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La moisson fait naufrage

La chute des surfaces cultivées de blé tendre s’est accompagnée d’une forte baisse du rendement, en recul de 23,9 % par rapport à la moyenne quinquennale.

Les précipitations persistantes tout au long de la campagne auront eu raison de la récolte 2024, qui se révèle désastreuse. La filière céréalière se prépare donc à affronter les lourdes conséquences de cette collecte d’été particulièrement décevante. PAR MATHILDE SOULÉ

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Déplorée par tous, la récolte d’été 2024 est tout simplement catastrophique. Les épisodes pluvieux incessants depuis mi-octobre ont perturbé les semis, les interventions au champ, le développement des cultures ainsi que les chantiers de récolte. En cumulant les pertes de surfaces et de rendements, la production céréalière d’été tomberait donc à 40,4 Mt, soit 11 Mt de moins qu’en 2023.

L’automne pluvieux a été particulièrement délétère pour les surfaces de blé tendre qui ont chuté de 10,8 % par rapport à 2023. « Les semis ont été difficiles dans le Sud-Ouest, le Poitou-Charentes, et au sud de la Loire, entraînant une baisse des surfaces de blé tendre de 20 à 25 %, regrette Jean Simon, directeur général d’Atlantiques céréales. Dans les régions Bretagne, Centre et Normandie, la chute a été moindre, de 3 à 5 %. Toutefois, les semis se sont étalés sur plusieurs mois, parfois jusqu’en décembre, donc nous savions que le potentiel de rendement était déjà compromis. » La coopérative Terres du Sud, elle, signale un recul de 50 % de sa sole céréales à paille. Tandis que Dijon céréales a réussi à semer 98 % de ses surfaces prévues.

Blé tendre : sous les 27 Mt

Le déclin des surfaces cultivées s’est accompagné d’une forte baisse du rendement, en recul de 23,9 % par rapport à la moyenne quinquennale. Estimé à 62,4 q/ha, il est inférieur de 15,5 % à celui de 2023 mais reste supérieur à celui de 2016 (53,7 q/ha). Cette diminution du rendement touche particulièrement les trois principales régions de production (-18,7 % en Hauts-de-France, -19,4 % en Grand Est et -12,8 % en Centre-Val de Loire) mais est généralisée sur le territoire. Terres du Sud, par exemple, qualifie ses rendements de blé tendre de « très, très mauvais » avec une moyenne de 45 q/ha. Maxime Thuillier, directeur céréales chez Unéal, observe un gradient est-ouest : « L’Est de notre zone a été plus affectée par les intempéries que la zone ouest. Les fortes pluies pendant la floraison et la phase de construction du rendement ont creusé l’écart, avec des rendements moyens de 65 q/ha, contre 80 q/ha à l’Ouest. » De son côté, Dijon céréales anticipe une perte de rendement de 20 à 30 %. « Dans les zones les plus touchées, les rendements s’effondrent à 50 q/ha », souligne Aurélien Marpaux, directeur d’exploitation chez Dijon céréales. Avec une production nationale de blé tendre estimée à 26,3 Mt, 2024 compte parmi les trois plus petites récoltes de ces 40 dernières années.

Des PS faibles

Mais au-delà, « le sujet de cette année, c’est le PS », souligne François Pignolet, directeur collecte chez Soufflet Agriculture. Et le constat est unanime : les PS sont faibles. « Concernant le blé tendre, c’est une année compliquée avec un PS moyen de 75 kg/hl », confie Aline Saget, directrice juridique, RH et communication chez Bourgogne du Sud. Avec 76 kg/hl dans le sud-ouest et le centre de la France, Atlantiques céréales parvient à frôler la norme et, ainsi, à maintenir une part de blé meunier satisfaisante. « Dans les départements comme l’Eure-et-Loir et l’Eure, environ 20 % des blés ont été récoltés avant les pluies et présentaient de bons PS. Cependant, après les pluies de fin juillet, les poids spécifiques se sont écroulés. En Normandie, le PS moyen se situe autour de 74,5 kg/hl », détaille Jean Simon. Chez Unéal, la situation est telle que la coopérative prévoit de passer un tiers de ses blés en fourragers, voire 40 % pour la zone est. « En fonction des zones géographiques, soit nous avons des blés avec un PS faible mais une bonne teneur en protéines, soit l’inverse. Dans les deux cas, ce sont des blés fourragers », déplore Maxime Thuillier. Le travail du grain sera donc nécessaire pour répondre aux exigences des contrats meuniers, tant pour le marché français que pour l’export.

Les orges en berne

De son côté, la production de blé dur atteindrait, avec seulement 1,2 Mt, le niveau le plus bas depuis 1997. « Les rendements sont en forte baisse : -20 % par rapport à la moyenne quinquennale », déplore François Pignolet. Sur un an, le rendement chuterait particulièrement en Centre-Val de Loire (-24,9 %), Pays de la Loire (-14,2 %), Poitou-Charentes (-13,2 %) et Midi-Pyrénées (-4,5 %), tandis qu’il augmenterait en Languedoc-Roussillon (+ 23 %) et Paca (+ 8,4 %).

La récolte d’orge d’hiver, elle aussi, déçoit. « Il y a 20 % de rendements en moins que les volumes attendus », rapporte Arterris. Une baisse généralisée puisque Valfrance et Sevépi avancent également des pertes de 25 %. La production française, qui représenterait 7,2 Mt, connaît une chute marquée de 26 % par rapport à 2023 en raison du déclin des surfaces (-8,8 %) et, plus encore, du rendement (-18,8 %). Malgré tout, les teneurs en protéines devraient répondre aux attentes pour le débouché brassicole et les calibrages sont généralement corrects. Là aussi, les PS sont défaillants : chez Bourgogne du Sud, le PS moyen des orges avoisine les 61 kg/hl, à hauteur de celui observé chez Valfrance et Unéal.

En revanche, le report des semis d’hiver sur l’orge de printemps a gonflé les surfaces de cette dernière de 28 %. Ainsi, la production d’orge de printemps, estimée à 3,3 Mt, augmenterait de 24,8 %, alors que le rendement serait en repli de 2,5 %. « Nous avons perdu 10 q/ha par rapport à une année normale », témoigne Jean Simon. Chez Dijon céréales, le rendement moyen chute à 46 q/ha, en dessous de la moyenne quinquennale. La déception est également présente chez Soufflet avec des rendements qui baissent de 25 à 30 %. Les teneurs en protéines sont quant à elles acceptables, oscillant entre 9 et 10,5 % selon les régions, et les calibrages sont jugés bons.

Le colza surprend

Le colza, c’est la relative bonne surprise de cette collecte 2024. Même si le rendement moyen national s’établit à 29,5 q/ha, en deçà de la moyenne quinquennale. « Les rendements sont bons, autour de 35 q/ha, sauf en Poitou-Charentes, au sud de la Loire et dans le Centre où les rendements tombent à 25 q/ha. Les colzas ont été très malades dans ces régions, ce qui a fortement dégradé le potentiel de rendement », précise Jean Simon. Si la plupart des OS interrogés se veulent positifs sur la récolte, Valfrance et Unéal se montrent plus réservées, exprimant une certaine déception. Toutefois, le colza a démontré une résilience notable face aux conditions climatiques difficiles, aidé par un bon démarrage à l’automne.

Les céréaliers dans le rouge

Avec une telle moisson d’été, la filière céréalière va connaître une année 2024 particulièrement difficile. Sevépi, par exemple, enregistre une baisse de collecte de 100 000 t, Arterris de 57 000 t et Valfrance de 150 000 t. « Ce sera une année compliquée pour nous car, avec moins de volume, nous aurons moins de marge, alors même que les frais de silos restent élevés, souligne Jean Simon. Mais nous sommes également très inquiets pour la solidité financière des exploitations, car la récolte est médiocre et les prix sont bas. L’année dernière était déjà difficile, mais celle-ci est encore pire. Beaucoup d’agriculteurs céréaliers risquent de se retrouver dans le rouge. »

Les entreprises se sont alors mobilisées pour soutenir leurs adhérents et clients. Si, à ce jour, les mesures à déployer sont encore en discussion, certaines structures ont déjà opté pour la proposition d’acomptes et l’adaptation de leurs barèmes. « Nous serons vigilants envers les jeunes agriculteurs et mettrons en place, si nécessaire, des mesures économiques pour les accompagner », assure Laurent Vittoz, DG de Valfrance. De plus, le gouvernement a également fait part de ses initiatives. Parmi celles-ci, l’activation du dispositif de gestion des risques climatiques et l’accélération des procédures d’indemnisation. Une avance de 70 % des aides Pac a également été prévue pour le 16 octobre. De plus, un dégrèvement de la taxe sur le foncier non bâti (TFNB) est mis en place pour les zones et agriculteurs les plus touchés, tandis que des reports de paiement de cotisations sociales via la MSA sont possibles. L’épargne de précaution pourra également être mobilisée. Enfin, le gouvernement collabore avec les banques pour explorer toutes les solutions possibles en vue de soutenir les agriculteurs.

« Une récolte historique de maïs »

En attendant, la filière mise sur la récolte d’automne. En fonction des régions, les semis d’hiver ont été reportés sur les orges de printemps, le tournesol, le maïs, le sorgho, les protéagineux, les pommes de terre et la betterave. Unéal a, par exemple, augmenté sa sole de maïs de 30 % et Soufflet Agriculture de 10 à 15 %.

« Les maïs et les sojas sont beaux, donc nous croisons les doigts pour que la moisson d’automne nous permette de nous redresser », espère Aline Saget. De son côté, Laurent Vittoz prévoit « une récolte historique de maïs », avec une estimation de 200 000 t contre 130 000 t l’année précédente. « Ils sont en retard d’une dizaine de jours, mais les cultures semblent plutôt prometteuses, constate-t-il. J’espère que cette culture sauvera nos agriculteurs. »

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